La négation de l'Homme dans l'univers concentrationnaire nazi
L'exposition itinérante du Mémorial
Afin d’accompagner les élèves et leurs professeurs et d’orienter leur réflexion sur le thème du Concours national de la résistance et de la déportation (CNRD) 2016-2017, « la négation de l’Homme dans l’univers concentrationnaire nazi », le Mémorial de la Shoah a conçu une exposition destinée à voyager dans les établissements qui en feront la demande tout au long de l’année. Nous vous présentons ici un résumé thématique de cette exposition.
La négation de l’Homme dans le IIIe Reich
En 1945, le monde découvre l’horreur des camps de concentration nazis, qui ont engendré en quelques années des centaines de milliers de victimes. Dès lors, le système concentrationnaire est devenu l’illustration par excellence de la négation de l’Homme par les nazis. Pourtant, c’est bien plus largement que le IIIe Reich a mis en œuvre, dès 1933, des politiques reposant sur la négation de l’humanité de différentes catégories de population, justifiées par une vision raciste du monde qui constitue le socle de l’idéologie nazie.
Le régime nazi décide non seulement de la place de chacun au sein de la société, mais aussi de qui mérite d’être allemand ou non. Année après année, ces politiques prennent une importance de plus en plus grande et se durcissent. Avec le déclenchement de la guerre en septembre 1939 et les conquêtes qui s’ensuivent, il ne s’agit plus seulement de régenter l’Allemagne mais de modeler une Europe conforme aux projets nazis, qui décident du sort de nombreuses populations considérées comme inférieures ou nuisibles.
Le projet nazi est avant tout fondé sur une hiérarchisation niant l’humanité de groupes entiers d’hommes et de femmes, qui sert de justification à des politiques d’exclusion, de persécution, de marquage, de privation, de ghettoïsation ou d’assassinat.
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« Le cadavre vivant est devenu un cadavre mort. »
David Rousset, L’univers concentrationnaire, Hachette/Pluriel, Paris, 1998.
Marquer pour exclure de l’humanité
Afin d’isoler la population juive en Allemagne, de rompre les relations entre Juifs et non-Juifs, le régime intensifie au fil des ans les mesures destinées à identifier et marquer celle-ci.
Dès 1933 à travers le pays, les SA, milice du parti nazi, multiplient les opérations de marquage des entreprises, commerces ou cabinets médicaux appartenant à des Juifs, tandis que les dirigeants nazis appellent à leur boycott. En août 1938, une loi impose aux Juifs d’Allemagne qui ne portent pas des prénoms « typiquement juifs » d’adjoindre à leur état civil Israël pour les hommes et Sarah pour les femmes, afin de les rendre plus facilement identifiables. Puis, en octobre, ce sont les passeports qui sont marqués avec la lettre J : la mesure a pour objectif de rendre plus difficile l’émigration.
Avec la guerre, les mesures de ce type se propagent à travers les territoires conquis par l’Allemagne et dans les pays qui lui sont alliés. À la fin de 1939, dans le Gouvernement général, les Juifs sont astreints au port d’un signe distinctif, mesure qui se répand ensuite à travers l’Europe, notamment en France au printemps 1942. Les Juifs sont marqués, généralement avec une étoile jaune cousue sur les vêtements ou en étant tenus de porter un brassard frappé d’une étoile bleue, comme dans le ghetto de Varsovie. Dans le même temps, les politiques de dépossession s’accélèrent : les entreprises comme les maisons appartenant à des Juifs sont également marquées, avant d’être saisies.
Si le sort réservé aux Juifs constitue le processus de déshumanisation le plus poussé mis en œuvre par le régime nazi, d’autres catégories de population ont eu à subir des politiques justifiées par des critères « raciaux ».
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« Lorsqu’une tatouée mourait, son numéro matricule devenait libre, et une autre déportée pouvait en hériter. En outre, les Allemands avaient pour principe de ne jamais dépasser 200 000. Quand celui-ci était atteint, on recommençait à partir de I, en précédant le numéro d’une lettre série, ou d’un groupe de lettres. Chez les déportés raciales, le numéro était accompagné d’un triangle ou de l’étoile de David.»
Olga Wormser & Henri Michel, Tragédie de La Déportation 1940-1945, Paris, Hachette, 1954.
Les Noirs, une « sous-humanité »
Si, à la veille de la guerre, l’Allemagne ne compte qu’une faible population noire de quelques milliers de personnes, la négrophobie n’en est pas moins importante. Elle trouve son origine dans les préjugés racistes répandus à travers le monde contre les Noirs, mais se nourrit aussi d’événements liés à la Première Guerre mondiale, et en particulier l’occupation de la Ruhr par l’armée française en 1923.
Confiée notamment aux troupes coloniales, cette opération engendre au sein de la population allemande un sentiment d’humiliation, qui la qualifie de « honte noire ». La négrophobie s’exprime d’autant plus que plusieurs centaines d’enfants métis naissent d’unions entre des soldats français et des femmes allemandes. Bien que citoyens allemands, ces enfants sont qualifiés de « bâtards de la Rhénanie » et rejetés par une grande partie de la société dès les années 1920.
Cette haine se trouve d’autant plus exacerbée dans les années 1930 que l’idéologie nazie place les Noirs au plus bas de la hiérarchie raciale. Considérés comme à peine humains, ils constituent l’incarnation d’une sauvagerie quasi animale, ce que met en scène la propagande tant à travers des caricatures obscènes que des photographies destinées à souligner leur sous-humanité, en opposition avec la «pureté aryenne », incarnation de la grandeur. Rapidement privés de leurs droits, ils sont mis au ban de la société allemande, et environ quatre cents métis sont stérilisés afin d’empêcher qu’ils ne souillent la « race aryenne ».
Cet exemple illustre l’étendue du processus de déshumanisation au sein du IIIe Reich, bien au-delà du seul système concentrationnaire : il vise des pans entiers de populations, auxquels sont déniés des droits aux motifs qu’ils seraient différents par leur naissance. C’est dans ce contexte que s’inscrit la génèse du système concentrationnaire.
Les camps de concentrations : briser la volonté
Dès les premiers jours d’existence du régime nazi, des camps de concentration (Konzentrationslager ou KL) sont ouverts, destinés à mettre au pas les opposants. Dans ce système, dont l’objectif est de « rééduquer » ceux qui sont jugés déviants, les prisonniers sont sous le contrôle des SS, qui ont tout pouvoir sur eux.
Tout est fait pour briser les détenus : humiliations, violences de tout ordre, coups et privations constituent les réponses à tout manquement à la discipline de fer qui doit régner. Les appels, au cours desquels les détenus doivent se tenir au garde-à-vous et qui peuvent durer plusieurs heures, marquent le début et la fin de la journée. Corvées et travaux forcés constituent le quotidien dans ces camps régis par l’arbitraire.
Au fur et à mesure de la construction de l’État nazi, de nouvelles catégories de prisonniers apparaissent dans les camps : aux opposants politiques viennent s’ajouter ceux dont le mode de vie, pour une raison ou une autre, n’est pas conforme aux attentes du régime et sont jugés comme étant déviants ou menaçants pour la société. Les criminels, les « asociaux » (nomades, vagabonds, « oisifs »…), les Témoins de Jéhovah ou encore les homosexuels (dont la sexualité menace la pérennité de la « race aryenne ») doivent dès lors être « rééduqués » afin de se conformer aux attentes du régime. Pour les SS, l’objectif est d’amener les détenus à « s’amender » et faire allégeance au régime nazi.
Le système concentrationnaire et ses camps incarnent l’une des politiques nazies de déshumanisation, mais il ne s’agit pas de la seule : d’autres espaces ont été créés par le IIIe Reich, non pour détenir mais pour anéantir des êtres humains.
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« Au camp, nous n’éprouvions pas seulement un grand choc du fait que l’on nous avait ravi notre liberté – chaque heure était une souffrance. Quelqu’un a dit « il est difficile de supporter les coups, mais il est bien plus insupportable d’être houspillé chaque jour » – c’était le cas au camp. Prisonnières de notre condition de détenues, nous ne pouvions ni répondre aux cris par des cris, ni aux coups par des coups ; nous avions perdu tous les droits les plus élémentaires. »
Margarete Buber-Neumann, Prisonnière de Staline et d’Hitler — Volume 2. Déportée à Ravensbrück, Paris, Seuil, 1988.
Détruire les êtres et leurs corps
L’ensemble des mesures antisémites imposées depuis 1933 en Allemagne, puis à partir de 1939 dans le reste de l’Europe, facilite la réalisation de la « solution finale », lorsque celle-ci est déclenchée en 1942. Les ghettos deviennent d’immenses pièges. Ils sont vidés (« liquidés ») les uns après les autres au fil des mois et leurs habitants sont déportés vers les centres de mise à mort. Hors des ghettos, le marquage, parmi d’autres méthodes comme le fichage, devient un élément essentiel permettant l’identification et l’arrestation des Juifs.
Parmi l’ensemble des politiques nazies, la « solution finale » est sans doute l’exemple le plus poussé de négation de l’humanité, les victimes étant réduites au rang de matériaux. Chacune des étapes du processus de destruction qui se met en place à travers l’Europe en 1942 est une illustration de cette déshumanisation, depuis l’acheminement des victimes à destination des centres de mise à mort dans des wagons à bestiaux jusqu’au traitement réservé aux restes humains une fois l’assassinat réalisé.
Transportées vers des sites consacrés à leur assassinat, les victimes sont exécutées dès leur arrivée. Dans le même temps, les quelques biens qu’elles avaient emportés avec elles sont récupérés pour être redistribués après reconditionnement, tout comme les prothèses des handicapés et mutilés de guerre ou encore l’or dentaire. Quant aux restes humains, ils sont également utilisés : les cheveux des femmes assassinées sont récupérés afin de servir de textiles et, à Auschwitz, les cendres des victimes sont utilisées comme engrais dans les champs aux alentours.
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« Jamais je n’oublierai cette nuit, la première nuit de camp qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n’oublierai cette fumée. Jamais je n’oublierai les petits visages des enfants dont j’avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n’oublierai ce silence nocturne qui m’a privé pour l’éternité du désir de vivre. Jamais je n’oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert. Jamais je n’oublierai cela, même si j’étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais. »
Elie Wiesel, La nuit, Les Éditions de Minuit, éd. 2007.
D’être humain à numéro matricule
Pour les déportés qui franchissent les grilles des camps, la déshumanisation débute dès leur arrivée : ils sont soumis à l’enregistrement, opération qui signe leur entrée dans l’univers concentrationnaire.
Ils doivent se déshabiller, puis sont soumis à différentes procédures administratives, qui se concluent par l’attribution d’un numéro matricule constituant dès lors leur nouvelle identité. Dans l’univers des camps, noms et prénoms n’existent pas, seuls les matricules sont utilisés afin de désigner les prisonniers. Ce numéro est porté sur la tenue, en règle générale un uniforme rayé, qui est distribuée aux détenus lors de l’enregistrement mais, à Auschwitz, ce numéro est tatoué sur l’avant-bras.
Le processus de déshumanisation se poursuit : hommes comme femmes ont le corps rasé et la tête tondue, puis sont désinfectés, avant de passer sous une douche glacée. À la fin de ces opérations, les déportés sont devenus des Häftlinge (prisonniers). Un élément devient alors crucial : la connaissance de l’allemand. Car c’est dans cette langue que les ordres sont donnés et que les appels sont effectués. Chaque Häftling doit connaître son identité – son numéro matricule – en allemand pour comprendre qu’un SS s’adresse à lui, faute de quoi il risque la mort.
Avec la découverte des camps et la libération des rescapés, le monde réalise l’horreur concentrationnaire. Pour les survivants s’engage alors un retour non seulement à la vie mais à l’humanité, malgré l’indicible dont ils ont été victimes et témoins. Parmi eux, certains portent gravé dans leur chair un numéro matricule, marque physique indélébile de leur passage dans les camps nazis.
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« (…) Rien ne s’efface ; les convois, le travail, l’enfermement, les baraques, la maladie, le froid, le manque de sommeil, la faim, les humiliations, l’avilissement, les coups, les cris… non, rien ne peut ni ne doit être oublié. Mais au-delà de ces horreurs, seuls importent les morts. La chambre à gaz pour les enfants, les femmes, les vieillards, pour ceux qui attrapent la gale, qui clopinent, qui ont mauvaise mine ; et pour les autres, la mort lente. »
Simone Veil, Une vie, Livre de Poche, 2009.